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« UNE SI LONGUE LETTRE » : LES FEMMES CONTINUENT DE SE TENIR AU SEUIL DE LEURS REVES.
« Une si longue lettre » de Mariama Bâ est un chant funèbre et un hymne à la vie, une fresque crue et poétique qui se déploie dans le cadre vibrant et contradictoire du Sénégal post-colonial. Dès ses premières lignes, on sent le poids des non-dits, des silences complices de la douleur et des cris étouffés par les convenances. Ramatoulaye, veuve et narratrice, est le miroir d'une société où la femme, tout en étant le pilier inébranlable, reste l’ombre de son propre désir, contrainte de plier sous le joug d'une polygamie qui broie les rêves et l'amour. Cette lettre, longue et méditative, adressée à Aïssatou - cette âme indomptable qui a su briser ses chaînes - est le fil conducteur d'une introspection profonde, d’une révolte contenue dans laquelle grouillent mille douleurs et mille espérances.
Mariama Bâ, elle-même militante et observatrice désenchantée, inscrit sa voix dans un chœur de féministes rebelles, unissant son écho à celui de Simone de Beauvoir, qui secoua les fondements de la condition féminine européenne, à Nawal El Saadawi, qui défia, plume en main, les carcans de la société égyptienne, et à Awa Thiam, auteure de « La Parole aux Négresses » et porte-voix de ces femmes que personne n’entend. Mais Bâ, contrairement à ses homologues plus belliqueuses, tisse sa dénonciation dans la tendresse amère de la tradition. Son combat est enraciné dans la complexité des liens ancestraux, entre la soumission et la résilience, la chaleur de l'appartenance et le froid du renoncement.
En 1979, le Sénégal se trouve à la croisée des chemins : fraîchement indépendant, avide de modernité mais englué dans les vestiges des coutumes. C’est dans ce contexte que surgit « Une si longue lettre », comme un souffle intranquille, le reflet incontournable d’une société où l’on voit la femme non plus comme l’ombre du baobab mais comme le tronc même, celui qui endure, qui ploie mais ne se brise pas. Ce récit devient rapidement un classique, embrassé par les universités du monde entier, car il porte en lui l’élan universel de la lutte pour la dignité.
Pourtant, l’œuvre de Mariama Bâ, si elle illumine des générations, rappelle aussi que les combats restent inachevés. Aujourd’hui, les femmes sénégalaises continuent de se tenir au seuil de leurs rêves, les pieds entravés par des traditions tenaces. Si certaines ont trouvé dans l’éducation et l’économie un tremplin vers l’émancipation, d'autres se heurtent encore aux vieilles pierres : polygamie, inégalités de droits, et la pression sociale qui, comme une camisole de plomb, pèse sur leurs aspirations.
Bâ, en moraliste de l’ombre, n’a pas écrit pour consoler, mais pour rappeler, réveiller, déranger. Sa plume est douce, mais c’est une douceur qui écorche, qui laisse en nous l’empreinte brûlante d’une vérité trop longtemps ignorée. Là où Simone de Beauvoir proclamait que l’on ne naît pas femme mais qu’on le devient, et où Nawal El Saadawi dénonçait les mutilations imposées par la tradition, Mariama Bâ chantait la révolte dans le silence, la tempête contenue dans le cœur de celles qui ont appris à sourire malgré tout.
Les défis d’hier sont encore ceux d’aujourd’hui. L’accès équitable à l’éducation, l’éradication des violences de genre, et la reconnaissance de la femme comme actrice pleine et entière de la société demeurent des batailles inachevées. À l’image d’une Ramatoulaye qui, debout, regarde le ciel avec la force des racines et la tristesse des feuilles tombées, les Sénégalaises modernes doivent encore écrire leurs lettres, encore et encore.
Ô Sénégal, terre de soleil et de tempêtes, tes filles demeurent, debout sur l’estrade des rêves brisés, clamant leur droit à la dignité, à l’amour et à la liberté ! Par cette lettre, c’est l’univers tout entier qui entend le tumulte d'une plainte et d'une promesse.
Sémou MaMa DIOP