Chili, le volcan et le cosmos. Entretien avec Baudoin & Lepage

Dans un livre d’une grande élégance, Baudoin et Lepage conjuguent leurs talents respectifs pour nous offrir un récit autobiographique à quatre mains, autour de leur voyage au Chili en plein ébullition sociale et politique.
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Avec près de quatre-vingt albums à son actif, Edmond Baudoin compte parmi les auteurs de bandes dessinées les plus prolifiques. Célèbre pour ses dessins à l’encre de chine et ses récits autobiographiques, il a reçu en 1992, pour Couma acò le prix du meilleur album au Festival internationale de la bande dessinée d’Angoulême. Trente ans plus tard, en Charente encore, la Cité internationale de la bande dessinée lui a consacré une exposition personnelle intitulée : « La belle saison d’Edmond Baudoin » (octobre 2021-juin 2022).
Dessinateur et aquarelliste hors pair, Emmanuel Lepage, outre ses carnets de voyage, est connu pour ses reportages et expéditions scientifiques dessinées, à l’image de Voyage aux iles de la Désolation (2011) et d’Un printemps à Tchernobyl (2012). Il est aussi l’auteur de Muchacho, un récit initiatique sur un jeune séminariste acquis à la théorie de la libération pendant la révolution nicaraguayenne. En 2021, il est le premier bédéiste à être nommé peintre officiel de la Marine.
À l’occasion d’un voyage de lycéens grenoblois dans le désert de l’Atacama à la rencontre d’astronomes, Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage sont retournés au Chili, un pays alors en pleine ébullition sociale et politique. Après la révolte d’octobre 2019 annoncée comme la fossoyeuse du néolibéralisme, une Assemblée conventionnelle paritaire prépare un projet de constitution progressiste, féministe et écologiste unique au monde. Sans rien craindre de l’échec du référendum et du retour de bâton conservateur que pointent les sondages, les deux auteurs de bandes dessinées s’enthousiasment pour cette révolution en cours, portée par une jeunesse qui entend tirer un trait définitif sur l’héritage honni du pinochétisme. Par les hasards d’un calendrier que la pandémie de Covid a chamboulé, ils assistent à la liesse populaire qui entoure la victoire du candidat socialiste Boric en décembre 2021.
Mêlant l’encre de chine, l’aquarelle et même la photographie, cet album graphique emprunte tour à tour au carnet de voyage, à la note de terrain, au journal intime et à l’essai journalistique. Des digressions métaphysiques sur l’infiniment grand à la dénonciation des privatisations échevelées (notamment en matière d’accès à l’eau), les auteurs alternent entre les registres scientifique et politique, tout en convoquant la poésie de Pablo Neruda ou encore les images de Patricio Guzmán. Donnant également la parole aux jeunes qui les accompagnent, ils se prêtent à leurs côtés à une double introspection où percent, par-delà les différences générationnelles, des visions du monde, des désirs et des espérances similaires.