Interrogations historiques autour de Ramadân.

Ramadân est le seul mois qui est désigné par son nom dans le Coran (2, 185).
On peut se demander pourquoi seul le mois de Ramadân est cité dans le Coran et pas les autres mois.
Un musulman d'aujourd'hui répondra sans doute que si Ramadân est cité c'est parce qu'il est le mois le plus important de l'année, du point de vue de l'islam.
Le verset 185 de la sourate 2 nous dit effectivement que Ramadân est le mois de la révélation du Coran.
Le même verset nous dit aussi qu'il faut jeûner durant tout le mois de Ramadân.
Alors c'est vrai que pour un musulman, ou qu'il soit à travers le monde aujourd'hui, le mois de Ramadân peut apparaître comme le mois le plus important de l'année d'un point de vue religieux.
Aujourd'hui, en effet, le mois de Ramadân réunit tous les musulmans pratiquants dans un rituel commun.
Mais un historien ne se pose pas le même genre de question que quelqu'un qui vit aujourd'hui.
Un historien s'intéresse au passé pour essayer de comprendre ce qu'a été le mois de Ramadân dans le Coran lui-même, pour les premiers auditeurs de sa parole et dans son époque, au 7e siècle.
Et là, forcément, le contexte est complètement différent de celui d'aujourd'hui.
On s'aperçoit alors que l'unanimité autour d'un jeûne à pratiquer durant tout le mois de Ramadân n'était pas du tout acquise.
En effet il s'agit d'une innovation qui a été introduite seulement en période médinoise. Il fallait donc réussir à la faire accepter.
Cela n'était pas acquis d'avance.
Comme je l'ai dit déjà à maintes reprises, les tribus d'Arabie au 7e siècle n'étaient soumises à aucun principe d'autorité.
Il n'est donc pas étonnant que le passage coranique sur le jeûne du mois de Ramadân ne soit pas aussi catégorique, ni soumis à sanction, s'il n'est pas respecté, que le rite observé aujourd'hui dans beaucoup de pays musulmans,
Le verset 185 se termine en effet en disant qu'Allâh veut faciliter la vie aux hommes et non pas la leur rendre difficile
yurîdu Allâh bi-kum al-yusr wa-lâ yurîdu bi-kum al-'usr
On peut donc dire que le prestige du mois de Ramadân et l'observance de son rituel de jeûne se sont construits progressivement dans le temps.
Il faut d'ailleurs noter que le jeûne constituait lui aussi une innovation.
Cela ressort du verset 183 de la sourate 2 quand il est dit que le jeûne est institué pour se conformer à la pratique antérieure d' autres peuples.
Il s'agit évidemment avant tout de pratiques présentes dans le judaïsme.
Il n'est donc pas étonnant que les mots qui désignent le jeûne, que ce soit sawm (19, 26) ou siyâm (2, 183) soient des mots importés des autres langues sémitiques.
Nous aurons l'occasion d'y revenir dans un podcast qui sera consacré à ces mots.
Avant d'être promu par le Coran comme mois de la révélation et mois du jeûne, Ramadân était donc un mois ordinaire.
On peut même dire qu'il s'agissait d'un mois redouté puisqu'il était celui de la période la plus chaude de l'année, au moment du solstice d'été, donc entre fin juin et début juillet
Les ouvrages de lexicographie médiévale sont absolument catégoriques à cet égard.
Les mots ramad, ramdâ' où ramadân sont tous évidemment de même racine RMD
Ils renvoient à la chaleur brûlante du sol, qu'il soit de sable ou de pierre, sur lequel se réverbère le soleil du qayz, la période la plus chaude de l'année.
Concernant la pluie évoquée par certains, il est simplement dit par les lexicographes que lorsque la période de grande chaleur commence à tirer à sa fin, on peut voir apparaître dans le ciel un nuage.
Ce premier "nuage" annonciateur de la tombée de la chaleur est dit "de ramadân".
Ce "sahâb ramadî" délivre une pluie fine qui annonce l'arrivée du kharîf.
Le kharîf ce n'est pas l'automne, c'est la mousson d'été qui souffle du sud ouest, donc qui vient de la rive africaine par rapport à l'Arabie.
Le kharîf est porteur de lourds nuages qui masquent le soleil et qui délivrent une pluie fine qui fait reverdir toute une partie de la côte sud et les hautes montagnes de la façade ouest de l'Arabie, au Yémen et dans le 'Asîr.
Ces données climatiques sont incontournables et intemporelles. Il en est de même du calendrier stellaire.
C'est en regardant la course des étoiles au cours de la nuit, de saison en saison, que les hommes d'Arabie reconnaissaient les mois.
Ils n'avaient pas besoin pour cela de savants calculs.
Les étoiles étaient dites pluviales quand la pluie attendue tombait dans les dix jours qui suivaient leur coucher à l'aube.
C'était le cas des "Pleïades", al-Thurayyâ qui se couchaient durant le mois de rabî'.
Les deux mois de rabî' tirent justement leur nom d'être lié au pâturage des chameaux qui surgit de terre après la pluie.
La pluie tellement désirée est souvent rendue par le simple terme, mâ', "l'eau".
C'est l'eau pluviale qui rend la terre vivante après qu'elle ait été morte, comme le dit le Coran (16, 65)