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« La traduction est un acte de reconnaissance, de gratitude et d’amour »
Source : Une création de Richard Gaitet mise en ligne le 13 décembre 2023 sur ARTE Radio, Bookmakers #27 - L'auteur du mois : André Markowicz
Un jour, la mère d’André Markowicz, professeure de littérature russe, ouvre une traduction française de « L'Idiot » de Dostoïevski. Dans la scène d’anniversaire où le piètre fonctionnaire Lebedev délire à bloc en voyant de l'argent jeté au feu, elle ne reconnaît pas le texte original. Les trois autres traductions qu’elle emprunte ne respectent pas non plus, diable, les flammes initiales ; toutes s'acharnent à rendre cohérentes les invraisemblances du personnage déboussolé.
Le jeune André n’oubliera pas cette anecdote. En 1990, dans le métro, face à Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, pour lequel il vient de servir d’interprète, Markowicz suggère de retraduire Dostoïevski. Au motif que les précédentes traductions ont trop policé le style - bien qu’elles aient permis, reconnaît-il, à Proust ou à Gide de s’engouffrer dans la prose possédée de l’auteur des « Carnets du sous-sol ». Trêve d’élégance excessive à la française : l’oralité furieuse de Dostoïevski sera célébrée avec force répétitions et maladresses de syntaxe, n’en déplaise aux puristes. Trois ans plus tard, sur France 3, André Markowicz explique honorer ainsi une écriture qui existe « en dépit de toutes les règles, en faisant tout pour ne pas faire un roman français, ne pas écrire comme un marquis, mais avec un débordement de passion, une langue en fusion, sans aucune norme, à part celle que l’on crée, là, sur-le-champ ». Ses adversaires questionnent sa légitimité, parce qu’André n’est pas universitaire. On le voit pourtant - c’est rare, pour un traducteur - dans « Paris-Match » ; avec, sur la page d’en face, le mannequin Claudia Schiffer dans sa baignoire. Puis « L’Obs » lui consacre trois pages où se querellent anciens et modernes, en parlant de « véhémence emberlificotée » à propos de sa version de « L’Idiot ». Markowicz se confie au « Monde » : « Voilà une chose que j’ai réussie, au moins : qu’on remarque que le bouquin est traduit. »
Enregistrement : octobre 2023
Entretien, découpage : Richard Gaitet
Prise de son, montage : Mathilde Guermonprez
Réalisation, mixage : Charlie Marcelet
Musiques originales : Samuel Hirsch
Lectures : Sabine Zovighian, Perrine Kervran, Mina Souchon