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Pr. Hervé Castanet. La "Répétition" dans le dernier enseignement de Jacques Lacan. La boussole du Séminaire "L'Être et l'Un" (ensuite nommé "L'Un tout seul !") (2010-2011) de Jacques-Alain Miller.
"L’Être et l’Un" : sous ce titre, celui de son dernier Cours prononcé devant un auditoire, Jacques-Alain Miller déplie sa tentative la plus radicale pour penser le concept de réel dans la clinique psychanalytique. Il s’agit désormais de concevoir le symbolique, et par conséquent l’imaginaire, à partir du réel. Tel était l’enjeu du Séminaire XXIII de Lacan en 1975-1976, "Le sinthome", consacré à James Joyce : lire l’écrivain irlandais et en tirer des conséquences implique d’aborder symbolique et imaginaire à partir de la position du schizophrène - pour lequel tout le symbolique est réel.
On trouve aussi dans ce Cours une attaque lancée contre l’une des positions clés de la philosophie et de la pensée rationnelle : l’ontologie. S’y substitue l’ontique. La première désigne ce qui relève de l’être, la seconde ce qui tient de l’existence. En démontrant les modalités de ce refus de l’ontologie, "L’Être et l’Un" aboutit à sa destruction nécessaire pour donner une nouvelle définition de la psychanalyse, qu’indexe le terme de parlêtre. Miller procède par étapes, nomme les différentes modalités utilisées par Lacan pour en finir avec le concept d’être au profit de celui d’existence. En une vue synthétique, il parcourt tout son enseignement pour en faire saisir les derniers enjeux. Les quatre premières séances ont été publiées en revue sous le titre « Progrès en psychanalyse assez lents ».
Ce faisant, Miller accorde au Séminaire une toute nouvelle place, distincte de celle des articles publiés : « Dans son Séminaire, Lacan fait des tentatives, s’avance dans des directions, s’aventure parfois […] dans certaines rêveries, et pousse jusqu’au bout certaines analogies. Dans ses écrits, par contre, il fait le partage entre ce qui mérite d’être préservé sous cette forme et ce qui peut rester dans son placard. » Il s’agit désormais d’ouvrir le placard, de recueillir les bouts, les fragments qui y avaient été laissés : « les "Écrits" […] s’enlèvent et se détachent sur le fond du Séminaire […] [qui] est à proprement parler le lieu de l’invention, celui d’un savoir ». Les articles écrits sont des « chutes », des « dépôts » des « rebuts », des « cristallisations » du Séminaire. Quand il prononce "L’Être et l’Un", Miller vient de finir d’établir tous les Séminaires et distingue « l’architecture » générale qui les ordonne, du premier au dernier. Ils « forment comme l’entour d’un vide central. C’est en direction de ce vide que le Séminaire progresse. C’est ce vide qui, en quelque sorte, est le ressort de sa réitération, le ressort de ce work in progress ».
Comment Miller conclut-il ce Cours, son ultime Cours public (jusqu’à aujourd’hui !) ? Isolons trois phrases radicales - elles orientent une pratique nouvelle de la psychanalyse, si l’on prend la peine de lire le dernier Lacan et d’en tirer des conséquences :
- « Une pratique sans vérité, c’est une pratique sans la fiction de la vérité, sans la fiction des universaux - c’est une pratique désublimée. »
- « L’analyse orthodoxe essaye de répondre à l’énigme sexuelle par un effet de vérité, par un : que la lumière soit ! - par une élucidation, alors qu’il s’agit, au contraire, d’atteindre ce que la jouissance comporte d’opacité irréductible… »
- « Quand on admet que l’Autre, c’est le corps qui n’est pas ordonné au désir mais à sa propre jouissance, qu’à ce réel Lacan a voulu lui donner la forme borroméenne, on peut prendre acte qu’au cœur, là où se coincent les ronds borroméens, il y a toujours à placer un prélèvement corporel… »
Le résultat est une « désontologisation de la pratique analytique » : l’hérésie lacanienne ne consiste pas à « quitter le champ du langage, c’est d’y demeurer mais en se réglant sur sa partie matérielle, c’est-à-dire sur la lettre au lieu de l’être ». Voilà où nous conduit Miller dans ce qui constitue, selon sa formule, le « tout tout dernier enseignement » de Lacan. Sans lui, il serait passé à la trappe.