«Pour comprendre comment est né Dada, il faut imaginer, d'une part, l'état d'esprit d'un groupe de jeunes dans cette prison qu'était la Suisse au moment de la Première Guerre mondiale et, d'autre part, la vie intellectuelle niveau de l'art et de la littérature à cette époque. Bien sûr, la guerre devait prendre fin et nous aurions assisté à d’autres guerres par la suite. Tout cela est tombé dans ce semi-oubli que l’habitude appelle histoire. Mais vers 1916-1917, la guerre semblait ne jamais finir. De plus, de loin, tant pour moi que pour mes amis, cela prenait des proportions déformées dans une perspective trop large. D'où le dégoût et la révolte. Nous étions résolument contre la guerre, sans pour autant tomber dans le giron facile du pacifisme utopique. Nous savions que la guerre ne pourrait être étouffée que si ses racines étaient éradiquées. L'impatience de vivre était grande, le dégoût s'appliquait à toutes les formes de civilisation dite moderne, à ses fondements mêmes, à la logique, au langage, et la révolte prenait des voies où le grotesque et l'absurde dépassaient de loin les valeurs esthétiques. Il ne faut pas oublier qu'en littérature un sentimentalisme intrusif masquait l'humain et que le mauvais goût aux prétentions à l'élévation s'est imposé dans tous les secteurs de l'art, caractérisant la force de la bourgeoisie dans tout ce qu'elle avait de plus odieux..."