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Le philosophe stoïcien est-il inhumain ? Le stoïcisme est-elle la plus haute sagesse ?
Les trois grandes philosophies hellénistiques sont le stoïcisme, l’épicurisme et le scepticisme. Leur point commun, c’est que contrairement à celles qui précèdent, elles considèrent que l’objet essentiel de la philosophie, c’est de conduire au bonheur. Ces nouvelles écoles restent malgré tout attachées à leur passé. Et notamment à la figure de Socrate. Pour le stoïcisme, l’inspiration socratique, c’est l’attitude de Socrate juste avant sa mort, qui est relatée dans le Phédon. C’est cette maîtrise de soi qui constitue l’idéal indépassable d’un stoïcien. Remarquez que cette mort de Socrate contraste avec une autre mort célèbre. Alors que Socrate meurt comme un demi-dieu, Jésus meurt donc comme un homme, dans l’angoisse et la terreur. Ce qui nous amène à la grande question sur le stoïcisme : cette maîtrise de soi est-elle admirable, doit-elle être l’idéal de la philosophie, ou est-elle une rupture avec l’humanité ? Est-ce que la vie stoïcienne est la vie accomplie, ou une fuite hors de la vie, un détachement du monde, une désensibilisation monstrueuse à l’existence ? Avant de répondre à cette question, je présenterai la sagesse stoïcienne dans sa version classique, celle du Manuel d’Epictète.
Comment être libre et heureux dans un monde qui déçoit nos attentes ? Dans une vie marquée par la contrainte et par l’échec ? Le génie du stoïcisme, c’est de ne pas chercher pas se battre là où on ne peut pas gagner. On peut pas vaincre le sort. En revanche, on peut changer la manière dont le sort nous affecte. Voilà la vérité que les stoïciens nous appellent sans cesse à redécouvrir : on ne vit pas immédiatement dans la réalité, on vit toujours dans une représentation de la réalité. Et alors que dans le premier monde on est esclaves, puisque notre sort ne dépend pas de nous, dans le deuxième monde, celui de nos représentations, on est souverain. Si on entre à l’école stoïcienne, si on apprend cette maîtrise du jugement, on devient tout à fait libre, puisqu’on peut trouver son parti dans toutes les situations. Que vous soyez empereur comme le stoïcien Marc Aurèle ou esclave comme le stoïcien Epictète, vous avez la même liberté. Pas la liberté d’infléchir le destin, mais de le regarder avec vos propres yeux. De consentir à cette réalité, de l’accepter comme si vous l’aviez choisie. C’est ce que les stoïciens appellent l’amor fati, l’amour de son destin. Et c’est ça le vrai amour: non pas jouir de ce qui est conforme à nos attentes, mais consentir à l’existence telle qu’elle se présente.
La sagesse est consentement à la nécessité. Etre stoïcien, c’est donc faire de nécessité vertu, retourner une impuissance en puissance - celle de l’acceptation - et trouver la sérénité au cœur de la tourmente.
De tout temps, cependant, on a adressé au stoïcisme, et on adresse encore aujourd’hui plusieurs objections. En voici trois principales. La première, la plus courante, c’est le reproche de fatalisme. Si nous devons changer nos perceptions plutôt que le réel, changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde, comme dit Descartes, est-ce que ça veut dire qu’on doit tout accepter avec passivité ? Est-ce que le stoïcisme n’est pas un quiétisme ?
La deuxième objection rappelle que le bonheur des stoïciens est un bonheur minimal, une absence de troubles, une ataraxie. C’est le genre de bonheur qu’on recherche dans les temps les plus difficiles, quand les occasions de souffrance dépassent les moments de joie. Pendant une guerre, pendant un séjour en prison, après un deuil. Mais le bonheur qu’on cherche par temps calme est plus que le bonheur du détachement. C’est un bonheur qui suppose l’attachement à ce qui ne dépend pas de nous.
Ce qui amène à la troisième objection, qui est que le stoïcisme est une doctrine éminemment solitaire. Notre bonheur ne dépend pas seulement de nous, mais aussi de ce qu’on maîtrise pas. Bien sûr, il y a une solution radicale, c’est celle d’Epictète, qui est de ne pas s’attacher à ses enfants. Mais mettre ainsi à distance les gens qu’on aime, est-ce que ce n’est pas passer à côté de la vie? Voilà qui semble justifier cette accusation d’inhumanité des stoïciens que j’ai présentée en introduction par le contraste entre Socrate et Jésus. Est-ce qu’on n’a pas davantage de sympathie pour l’homme angoissé que pour le sage impassible ? Est-ce que l’humanité se réalise davantage dans la maîtrise ou dans le tragique, dans la sereine puissance ou dans la vulnérabilité ?